L’idée folle de photographier un bunker ?

Avez-vous des projets complètements fous ? Une idée qui germe dans votre tête sans que vous sachiez comment elle est arrivée ? Et finissez-vous obstinément par vouloir la réaliser ? Moi oui ! Et je vais aujourd’hui vous raconter la naissance et la réalisation d’un projet photo dans un vieux bunker désaffecté de la ligne Maginot en Moselle (Lorraine). Je vais vous expliquer le projet, et la construction même de cette photo, ci-dessous. 

Circumpolaire au dessus d'un bunker (Ligne Maginot) | Paysages nocturnes © Pierre ROLIN - Photographe Nancy - Lorraine / Grand Est
Circumpolaire au dessus d'un bunker (Ligne Maginot) | Paysages nocturnes © Pierre ROLIN - Photographe Nancy - Lorraine / Grand Est

Il y a environ 2 ans germait cette idée. En passant à côté d’un bunker, après être rentré rapidement dedans, l’idée d’en photographier un était née.

Oui, mais en le photographiant d’une manière particulière… De nuit, et éclairé de l’intérieur. Mon projet était de rendre hommage à ce vestige du passé, symbole de la guerre, en illuminant ses meurtrières qui avaient dû faire feu, alors que le but même de ce lieu est d’être discret. Le but était de rendre esthétique et envoutant ce lieu synonyme de guerre, de danger ou de mort. La circumpolaire donne ce côté poétique et rêveur à ce lieu qui ne s’y prête pourtant pas. Cette image est donc en soit une vraie dichotomie.

Ligne Maginot, un peu d’histoire !

Construite après la 1ère Guerre Mondiale, cette ligne de défense fortifiée avait pour but de protéger la France. Le pouvoir se méfiait d’une potentielle invasion allemande comme revanche à 1914-1918. Imaginée par André Maginot, Ministre de l’époque, elle sera achevée à l’aube des premiers combats en 1940. Construite le long de la frontière elle répond à une logique de défense territoriale. Son but principal était d’être inviolable par l’ennemi et de créer un sentiment de crainte. Sa devise “On ne passe pas” en est la preuve. On retrouve le long de cette ligne une diversité d’ouvrages, dont des forts (blocs), des casemates, et des ouvrages d’infanterie, formant des lignes successives de défense. La Lorraine étant en cœur de ligne de part sa frontière commune, elle se devait d’être protégée. Plutôt même bien protégée.

La ligne de défense était découpée en régions fortifiées. Chaque région était militarisée d’une manière différente en fonction des risques encourus. La Lorraine étant frontalière avec l’Allemagne, elle avait naturellement reçue les installations les plus importantes. La “Région de Metz”, comprenant les secteurs fortifiés de Crusnes, Thionville, Boulay et Faulquemont auront été sévèrement militarisés. 

L’attaque allemande se fera finalement sur les Ardennes, censées être infranchissables et peu défendue. L’armée française est prise partiellement en tenaille suite à une tentative d’encerclement de la ligne Maginot. Courant juin 1940 les ouvrages tombent les uns après les autres, après quelques heurts. L’armée française bat en retraite.

Certains ouvrages sont fortement attaqués par la Wehrmacht, principalement par l’artillerie Allemande, mais la défense reste faible. Occupés ensuite par l’armée allemande les armes ont été utilisées contre les Français.  

Un exemple de fortifications - www.futura-sciences.com

La ligne Maginot à ce jour.

Construite en béton armé, l’ensemble de ces fortifications est aujourd’hui toujours présent. Et cela pour encore très très longtemps. Ces bâtiments sont quasi indestructibles. Présents la plupart du temps dans les champs pour les plus petits, les paysans doivent s’en accoutumer. Détruire de telles installations serait un gouffre économique, voire impossible. Certains sont donc couvert par la végétation, d’autres partiellement utilisés. Ils restent simplement là comme un témoignage du passé tourmenté de notre pays. Il n’est pas rare en Lorraine d’en apercevoir dans les champs.

Certaines associations et passionnés ont repris les plans d’origine pour la cartographier. On peut donc retrouver aujourd’hui les positions exactes et les états de chacune de ces fortifications. Les éléments historiques sont aussi précisés, ainsi que les armes et l’usage du lieu. Autrement dit, c’est un travail de fourmis et de recherche, mais absolument passionnant et utile. À ce jour la Lorraine profite d’un patrimoine militaire inédit en France.

Photographier un bunker ? Trouver le lieu parfait.

Quand cette idée m’est venue, j’avais envie d’associer ce bunker aux étoiles. Mon but était de placer une circumpolaire, en astrophotographie au-dessus de la construction.

Il fallait donc trouver un casemate (bunker étant le terme allemand) proposant une orientation Nord / Sud. De préférence, sans forte pollution lumineuse sur la partie nord.

Les cartes proposées étaient donc la solution de facilité pour localiser le lieu parfait. Après quelques recherches, mon bonheur se situait en Moselle, à environ 1 h 20 de route de Nancy. 

Le projet prévoyait aussi de générer de la lumière afin de marquer par faisceaux lumineux les ouvertures. Pour réussir cet effet, il était nécessaire d’utiliser de la fumée, sans quoi le rendu n’aurait pas été photogénique. Le fumigène non lumineux était donc la solution retenue pour réussir cette photo. 

Comme on le voit sur cette vue Google Earth, les meurtrières sont sur la partie sud. Il est donc possible de photographier une circumpolaire en visant le nord, tout en jouant avec les ouvertures.

Orthophotographie du bunker choisi © Google Earth - Lorraine / Grand Est
Orthophotographie du bunker choisi © Google Earth - Lorraine / Grand Est

Ce casemate était équipé d’une tourelle pour canon, raison pour laquelle les meurtrières dédiées aux mitrailleuses défendaient l’arrière de la fortification. Le but était d’éviter l’entrée de l’ennemi par la porte située à l’arrière.

Photographier un bunker : de la théorie à la pratique.

C’est décidé, ce soir il fait beau, on y va ! Avec Hans, un ami photographe nous prenons la route au départ de Nancy. Direction le secteur fortifié de la Sarre, et un casemate d’infanterie double repéré sur Google Earth. Nous ne savions en revanche pas comment il serait accessible et possible de photographier, n’ayant pas fait de repérage sur zone. 

Arrivé sur place vers 22 h 30 en pleine heure bleue, nous faisons un rapide repérage des lieux. On en profite pour dire bonjour aux vaches toujours aussi curieuses et collantes. L’orientation est parfaite, le lieu devrait être le décor idéal pour cette photo insolite. Après contrôle des cadrages, et séance de réflexion, on analyse comment nous allions pouvoir enfumer ce bunker pour obtenir l’effet recherché. Le lieu étant plus grand qu’imaginé, il était impossible de l’enfumer entièrement. Il fallait donc ruser pour le photographier.

Second problème, et pas des moindres. Le ciel bien dégagé se couvre rapidement. Un gros voile nuageux arrive de l’ouest et vient progressivement recouvrir la zone. Situation très problématique quand on vient faire de l’astrophotographie. Il en faut néanmoins plus pour nous démotiver. Après élaboration du plan d’action nous en arrivons à cette conclusion. La construction de la photo se fera en trois étapes. Dans un premier temps, on teste les lumières sans fumée. Le but est de voir les réglages à utiliser, et la quantité de lumière à envoyer. Le but est aussi de ne pas surconsommer de fumigènes. La deuxième en action pour créer les effets de lumière, et la troisième pour le ciel.

La photo étape par étape !

C’est parti, on y est. Les tests sont concluants, on passe donc à l’atelier pratique. Potentiellement le ciel peut se dégager ensuite, on se focalise d’abord sur la lumière.

Lors des tests, nous avons conclu que 3 minutes d’exposition nous laissait le temps de nous déplacer et de créer l’effet recherché. Nous actionnons donc le déclencheur et partons dans la nuit noire dans le bunker. Hans, alluma le fumigène et enfuma la première meurtrière.

Flash à la main je déclenche dès la fumée bien marquée pour illuminer l’ouverture. On part ensuite sur la porte d’entrée, qu’on enfume à son tour. Je me place en situation pour créer la silhouette puis Hans actionne le flash.

On termine par les petites ouvertures secondaires. Retour à l’appareil photo dans le noir pour ne pas apparaître sur l’image. Suspens…

Le rendu est top dès la première tentative !

Partie 1 - Bunker fumigène et flash | Paysages nocturnes © Pierre ROLIN - Photographe Nancy - Lorraine / Grand Est
Partie 1 - Bunker fumigène et flash | Paysages nocturnes © Pierre ROLIN - Photographe Nancy - Lorraine / Grand Est

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Progressivement le ciel se découvre et laisse apparaître les étoiles. Il faut donc sauter sur l’occasion et réaliser la circumpolaire à assembler avec la photo précédente.

À titre purement personnel, je préfère une rotation pas trop marquée. 20 minutes me semblent suffisantes pour un rendu correct. Pour cela, afin de limiter la chauffe du capteur j’utilise une technique d’empilement. Sur place on réalise des photos de 30 secondes en continu pendant 20 minutes.

On termine avec environ 60 photographies qu’il faudra assembler.

Sur logiciel (Startrail ou Starmax, à la maison, on empile l’ensemble de ces images, qui donne le rendu recherché.

Partie 2 - Circumpolaire | Paysages nocturnes © Pierre ROLIN - Photographe Nancy - Lorraine / Grand Est
Partie 2 - Circumpolaire | Paysages nocturnes © Pierre ROLIN - Photographe Nancy - Lorraine / Grand Est

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Pour terminer il faut ensuite assembler la circumpolaire avec la prise de vue du bunker éclairé. Un fichier TIF est issu de l’assemblage du mouvement des étoiles, le second est un jpeg.

Cela se passe sur Photoshop, avec des masques de fusion sur les zones à éliminer.

La dernière touche se fait de nouveau sur Photoshop avec la suppression des petits défauts (lumières parasites, phare de voiture, nettoyage du sol…) et surtout redresser les verticales qui penchaient fortement.

Il aura fallu sur place plus de 2 heures de tests et de prises de vues pour réussir cette image, et 1h de post-traitement.

Circumpolaire au dessus d'un bunker (Ligne Maginot) | Paysages nocturnes © Pierre ROLIN - Photographe Nancy - Lorraine / Grand Est
Circumpolaire au dessus d'un bunker (Ligne Maginot) | Paysages nocturnes © Pierre ROLIN - Photographe Nancy - Lorraine / Grand Est

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